Il y a des livres qui vous envoient des signes pour que vous l’achetiez. Ma grande-mère, cette jeune polonaise morte à Auschwitz de Dominique Delescaille en fait partie. D’abord vu en librairie, je ne l’avais pas acheté à l’époque parce que j’avais déjà d’autres livres en main. Ensuite, j’en ai vu la promotion sur Facebook: j’appartiens à un groupe de personnes de la même commune et quelqu’un a posté la couverture. Cela m’avait interpellé que quelqu’un de la région de Charleroi l’avait écrit et a renforcé ma détermination de l’acheter. Je me suis rendue compte peu après que Dominique Delescaille était journaliste (en achetant le livre, Maman m’a dit: « Mais oui, la journaliste de RTL-TVI »). Que Mme Delescaille ne m’en veuille pas de ne pas avoir fait le rapprochement mais cela m’est déjà arrivé de ne pas associer certaines personnes à leur statut.
Toujours est-il que Maman a été commandé des livres et que je l’ai accompagnée. Au final, au lieu de ressortir avec deux bouquins (celui de Mme Delescaille était bien entendu parmi ceux-ci), j’en suis ressortie avec trois. Pour la petite histoire, le deuxième concernait Charleroi et le colloque sur la bataille de 1914 et qu’un ancien de mes professeurs y avait signé un article.
J’ai dévoré le livre Ma grande-mère, cette jeune polonaise morte à Auschwitz en quelques heures. Je savais parfaitement que cela ne serait pas un bouquin proprement historique, comme la biographie de Goering dont j’ai parlé sur ce blog, mais plutôt le parcours d’une personne qui cherchait à connaître l’histoire de sa famille.
Ce livre ouvre donc une porte sur l’histoire familiale de Dominique Delescaille et surtout, du jardin « secret » de sa maman, qui est, en réalité, la personne qui a le plus besoin de connaître et de comprendre sa propre venue au monde: Louise (prénom de naissance)/Liliane (prénom donnée par la famille « adoptive ») a découvert à 12 ans qu’elle n’était pas la fille biologique du couple qu’elle appelait papa et maman. Une blessure immense que de lire ce que l’employé communale a noté en-dessous de sa signature, comme quoi elle ne connaissait pas son nom originel et qu’elle se croyait être la fille de ce couple. Mais comment Louise/Liliane aurait-elle pu savoir puisque l’omerta régnait? A l’époque, certaines choses ne se disaient pas et en fin de compte, même la phrase de l’employé reflète la société d’alors.
Néanmoins, les années passent et la petite fille devient elle-même un adulte, a sa propre famille et le contexte a fait que Dominique a entrepris des démarches qui ont porté leurs fruits: Louise/Liliane allait enfin connaître le destin de sa propre maman et grands-parents. Louise est née à Charleroi d’une fille à peine adolescente, elle-même née à Charleroi mais dont les parents sont Polonais et juifs. Si Louise/Liliane connaissait une partie de ces détails, elle a enfin pu donner un visage à cette famille qui a été déportée et qui n’est jamais revenue d’Auschwitz.
Que l’on m’excuse des quelques raccourcis utilisés ici mais je ne vais pas non plus vous raconter l’entièreté du livre car justement, ce sont toutes ces interrogations, toutes ces démarches qui ouvrent une porte sur la Belgique de 1930-40. Vous partagez les joies mais aussi les désillusions et les blessures infligées. Vous en apprendrez plus sur certains projets, car la période 40-45 comporte encore des zones d’ombres énormes, notamment du fait que les documents sont soit classifiés et inaccessibles soit détruits.
Et ce n’est pas un hasard qu’il s’agisse d’une autre génération qui entame ces démarches. La société a changé, le regard a changé, les moyens ont changé.
Peut-être que moi aussi, je me pencherais sur mon histoire familiale: après tout, je suis à la fois Belge et Italienne, avec du sang français et même espagnole. Mon grand-père maternel était prisonnier de guerre, il a lui-même noté son parcours sur des feuilles, j’ai des photos de lui dans le camp avec des camarades, il a eu droit à des funérailles avec drapeau belge sur le cercueil et Brabançonne qui résonnait sur le parvis de l’Eglise. Le caveau familial comporte d’ailleurs la plaque « Passant, souviens-toi…. ». Son propre père, français, a fait 14-18 et en est revenu fou. En fin de compte, si je suis arrivée à vouloir lire le livre de Dominique Delescaille sur sa grand-mère qui n’est pas revenue d’Auschwitz, c’est grâce à mon grand-père, prisonnier, qui m’a raconté énormément d’histoires sur la Seconde Guerre Mondiale, dont je ne me souviens plus mais qui m’a transmis cette passion pour l’Histoire, renforcée par mes origines italiennes (mes grands-parents paternels étaient Italiens, mon grand-père a connu la mine et a été emporté par une maladie des poumons connue des mineurs).
Bref, assez parlé de moi. Le livre est facile à lire et a surtout l’avantage de pouvoir toucher davantage de public qu’un public de connaisseurs ou de passionnés. Il n’est nullement accusateur et moralisateur sur les raisons qui ont poussé la famille « adoptive » à se taire, au contraire, il explique le contexte de l’époque. C’est surtout notre regard à nous, plus de 60 après, qui se risque à tirer des conclusions: combien de fois ne me suis-je pas dit que je n’avais pas à juger l’employé et sa phrase blessante, qu’il ne connaissait pas le contexte et que nous-mêmes, qu’aurions-nous fait dans cette société d’alors?
Pour en terminer, j’avais déjà lu le livre quand le mari de ma Marraine, mon Parrounet, Hugues, a fait la promotion du livre… par deux fois. Comme quoi, il y a vraiment des écrits qui veulent vraiment rejoindre votre bibliothèque.